Edouard Salustro toujours présent et d’actualité
Par Jean-Louis Mullenbach (12 novembre 2014).
Quiconque rencontre Edouard Salustro pour la première fois est frappé par la présence qui se dégage de sa personne et par la force de se ses convictions. Sensation physique d’abord, il émane de lui une énergie brûlante et sans relâche. Travailleur infatigable, doté d’une volonté et d’une force physique qui fondent la domination psychologique, capable d’analyses psychologiques pénétrantes, doté d’un esprit terriblement persuasif, pas très souple avec sa décision arrêtée sur beaucoup de points, il vous fait littéralement un cours et ne cède pas un pouce en contrepartie.
Mais, bien plus qu’un professeur, c’est une personne qui en impose par le poids qu’il sait donner à ses propos. Au-delà de son style aux résonnances élevées, on ne saurait ignorer le je ne sais quoi dans sa voix qui donne à celle-ci une autorité indéniable, et également la lenteur de son élocution qui contribue largement à donner à ses paroles une impression de massivité. De surcroît, il a la faculté de faire sentir aux autres non seulement que ce qu’il dit est important, mais également que la personne à laquelle il s’adresse est importante. Ainsi, dans un dialogue, il finit par faire croire à son interlocuteur qu’ils partagent le même point de vue et qu’ils sont, l’un et l’autre, plus intelligents que les autres.
Avec sa façon de pontifier, il donne l’impression de marcher avec les rois et force les autres, à leur insu, de le traiter conformément à l’image qu’il donne de lui-même. Lorsqu’il se trouve en présence de personnes d’un rang élevé, il n’hésite pas, avec l’audace et même la témérité que cela suppose, à accentuer cet effet de poids en adoptant une voix plus grave et en parlant plus lentement. Son talent est tel que les hautes personnalités avec qui il se comporte de la sorte le traitent en retour sur un pied d’égalité, avec une considération marquée, sans jamais lui reprocher le caractère pesant de ses manières.
Par son charisme et son ascendant, il approche au plus près les grands dirigeants politiques et d’entreprises de notre pays, qu’il séduit par une empathie naturelle et par un verbe lumineux, qu’il manie comme personne. Sa pugnacité s’accompagne d’un tempérament chaleureux, pratiquant le meilleur des humours et toujours attentif aux autres. Il aime communiquer son enthousiasme pour les vraies valeurs de la vie et sait apporter des étincelles d’esprit qui enchantent ses interlocuteurs. A son contact, tout se positive, les problèmes se relativisent et finalement tout peut s’arranger autour d’une bonne table.
C’est, qu’au-delà de ces touches d’humeur et d’esprit, il est doté d’une capacité à élever le débat au niveau de l’intérêt général qui force le respect. Ses interlocuteurs prennent très vite conscience que c’est une personnalité avec qui il faudra compter et que, s’il fait quelque chose, ce sera un événement. Et Dieu sait qu’il a fait énormément pour l’évolution et la reconnaissance de nos métiers par les pouvoirs publics et par les dirigeants d’entreprises. Ses opinions et ses manières de faire ont fortement imprégné la mise en œuvre de la politique de nos institutions pendant une période critique où tout était à construire. Indépendamment de son parcours hors pair et de la réussite exceptionnelle de son groupe, il a joué un rôle essentiel au niveau de la profession française et européenne (espagnole et italienne en particulier) grâce à l’effort international, y-compris francophone, qu’il a mené tout au long de sa vie.
C’est un mystique pour lequel les ultimes mystères de la vie ne peuvent pas être abordés par la dissection, mais exigent le regard du poète qui saisit l’unité de la vie. Nous restons profondément marqués par cette détermination à placer l’homme au centre de tout et par ce refus du renoncement et de la fatalité. Personnage haut en couleur, bagarreur, bâtisseur infatigable, il a su insuffler cet esprit de conquête et cette passion d’entreprendre à tous ceux qui ont travaillé avec lui. Il incarne avec éclat l’acharnement au travail, la ténacité dans ses projets et le refus du conformisme. Autant de leçons qu’il nous laisse en héritage.
Très tôt, il a su anticiper les évolutions de la comptabilité financière et a compris que les auditeurs avaient une responsabilité vis-à-vis du marché. Il est convaincu que ce dernier a du bon, ne serait-ce que parce qu’il favorise le financement des entreprises et qu’il contraint les entrepreneurs et les cadres à se remettre en cause, à innover et à s’internationaliser. Mais, dans le même temps, le marché fabrique des injustices, installe de nouveaux monopoles et favorise les tricheurs. D’où la nécessité d’un Etat fort, surplombant le marché et organisant des régulations indépendantes qu’il n’a de cesse de promouvoir.
Visionnaire, à l’écoute de l’évolution de la société et des besoins des entreprises et des marchés, doté d’une faculté d’adaptation, homme de courage et de dévouement au service de l’action collective, étonnant d’audace, il a marqué durablement nos institutions et nos esprits. Edouard Salustro nous a quittés le 8 novembre 2013, il y a un an déjà. Nous ne sommes pas prêts de l’oublier.